Fluides frigorigènes : la profession vent debout face à une possible taxation
Par Adrien , le 30 mars
Dans le cadre de sa politique de fiscalité verte, le gouvernement songe à taxer les fluides frigorigènes HFC, des gaz à effet de serre au potentiel de réchauffement. Les professionnels crient à l’aberration.
Dans le cadre de son chantier pour une fiscalité écologique, le groupe de travail mandaté par le gouvernement et présidé par l’économiste Christian de Perthuis a, dès le début de ses travaux en décembre dernier, émis la possibilité de taxer les fluides frigorigènes. Objectif : accélérer la transition vers des fluides au potentiel de réchauffement global moindre (PRG ou GWP pour Global Warming Potential) tout en ramenant quelque 300 millions d'euros dans l’escarcelle de l’Etat.
Les différents acteurs de la filière ont été sollicités pour rendre un avis courant janvier sur un livre blanc intitulé « Modalités de la mise en oeuvre d’une taxe sur les gaz à effet de serre fluorés utilisés en tant que fluides frigorigènes ». Et n’ont pas manqué de faire savoir combien cette mesure leur paraissait contre-productive.
Premier argument : « On s’en occupe déjà ! »
« On ne peut pas nous reprocher de laisser de côté le problème que posent ces fluides frigorigènes !, se défend Jean-Paul Ouin, délégué général d’Uniclima représentant ici les fabricants des pompes à chaleur et des systèmes de climatisation. Toute la profession, au niveau européen, travaille à la révision de la directive F-gaz, qui vise la restriction drastique de l’usage des HFC d’ici 2030. » Telle que souhaitée par la Commission européenne, cette restriction passerait, entre autres, par la prohibition en 2015 des climatiseurs domestiques utilisant des HFC au PRG supérieur à 150, suivi en 2020 par tous les systèmes de froid et de climatisation commerciaux.
Le Sneffca, syndicat des entreprises installatrices du froid et de la climatisation, évoque dans sa réponse « une redondance [réglementaire] préjudiciable […] à l’efficacité sur le terrain ». Le syndicat en profite pour souligner « l’absence de contrôle de la part de pouvoirs publics qui favorisent les fraudes ». Autrement dit, une bonne gestion du problème des fluides devraient coûter plus que rapporter… Une approche qui ne saurait se concilier avec celle du gouvernement.
L’Alliance Froid Climatisation Environnement (AFCE) (qui regroupe les industriels et utilisateurs de froid et de la climatisation et travaille aux bonnes pratiques de l’usage des fluides pour limiter leur impact sur le réchauffement) estime par la voix de son délégué général, François Heyndrickx qu’elle « n’est pas complémentaire aux actions envisagées dans le cadre de la F-Gaz. Elle n’aura donc aucune efficacité supplémentaire ».
Deuxième argument : « Cela revient à taxer les ENR »
François Heyndrickx souligne également que « presque toutes les PAC utilisent des HFC, or les PAC sont considérées par la RT2012 comme des équipements EnR. On en viendrait donc à taxer les ENR ! » Si certains industriels, citons Sanden, propose dès maintenant des PAC au CO2 (gaz au PRG de 1), celles-ci ne semblent pas pouvoir répondre à toutes les applications. Pour Jean-Paul Ouin, « l’utilisation du CO2 comme fluide frigorigène est actuellement pertinente pour une production de froid très basse température, ou au contraire du chaud à très haute température. On ne dit pas qu’on n’y arrivera pas d’ici quelques années pour des températures médianes, mais pour l’instant les systèmes ne sont pas encore au point. » L’utilisation de l’ammoniac longtemps prisée pour des solutions de froid commercial a, elle, été tellement contrainte par la réglementation pour des raisons de sécurité que nombre d’industriels l’ont abandonnée. Au contraire du Danemark par exemple, cité dans le livre blanc comme taxant depuis 2001 les HFC, et dont les industries recourent à l’ammoniac. L’argumentaire des industriels met aussi en avant que le recours à des fluides au PRG moindre, pénalise la performance des équipements, alors même que la directive européenne Eco-design impose des rendements de plus en plus élevés aux équipements pour baisser les consommations d’énergie.
Troisième argument : une distorsion de concurrence
Les hypothèses de calcul de la taxe, telles que rapporté par l’AFCE, iraient de « 20 à 60 euros par tonne équivalent CO2 . » Et l’association de faire le calcul : « Cela signifierait pour une climatisation auto au R-134a de 14 à 43 euros de taxe et pour un supermarché avec système à détente directe au R-404A de 19 560 à 58 680 euros. » Le Sneffca estime lui que « la taxe pourrait représenter « 15 à 20 % du chiffre d’affaires » pour les installateurs, répercutés évidemment auprès de leurs clients.
Côté industriels, Uniclima rappelle que les usines françaises des CIAT, Carrier, Trane ou encore Airwell exportent pour 1 milliard d’euros de chiffre d’affaire d’équipements préchargés en fluides (chiffre 2010). Et resurgit le spectre d’usines quittant l’Hexagone.
Pour prouver sa bonne volonté environnementale, la profession met en avant que ce n’est pas la première fois qu’on lui demande de s’affranchir de certains fluides frigorigènes. Ce furent d’abord les CFC (chlorofluorocarbone) qui détruisait la couche d’ozone, puis les HCFC (hydrochlorofluorocarbone) dont le très répandu R22 dont il n’est plus produit un gramme en Europe). « On sait faire, insiste Jean-Paul Ouin. Il faut juste nous laisser un peu de temps. »
Face à cette levée de bouclier le ministère reste pour l’instant de marbre et met en avant le délai de réflexion. Julien Mayer, conseiller chargé de la communication au cabinet de Delphine Batho explique : « Les experts du comité débattent activement, ils rendront leur rapport au printemps. Toutes les solutions sont examinées, et aujourd’hui il est impossible de dire si les HFC seront taxés. » A suivre donc.
FOCUS
Les HFC (hydrofluorocarbone), sont des gaz fluorés de synthèse presque exclusivement utilisé pour produire du froid (climatisation des bâtiments et des véhicules, froid commercial, froid mobile, industrie…). Ils figurent parmi les 6 principaux gaz à effet de serre (GES) inscrits sur la liste du Protocole de Kyoto. Neutres sur l’ozone, ils sont apparus sur le marché à la fin des années 1980 pour remplacer les CFC et les HCFC, interdits du fait de leur action destructrice sur l’ozone. L’utilisation des HFC est en hausse constante. D’après le Citepa (Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique), leurs émissions auraient augmenté en France de 345% entre 1990 et 2010.
La Commission européenne a publiée en novembre 2012 une proposition de régulation de l’utilisation des HCF. Ce texte introduit des limites quantitatives et des interdictions progressives des HFC, en fonction de leur GWP et de leur secteur d’usage. Ces propositions font l’objet de négociations et sont destinées à nourrir la révision de la règlementation F-gaz.
En Europe, le Danemark, la Norvège et la Slovénie ont déjà mis en place taxe sur les HFC. L’Autriche et la Suisse ont opté pour un système restrictif.
A l’échelle internationale, la diminution des HFC est également discutée dans le cadre du protocole de Montréal relatif à la protection de la couche d’ozone. Depuis 2009, plusieurs signataires (dont les Etats Unis) du protocole ont proposés des amendements visant à limiter, voire interdire, la fabrication et l’utilisation des HCF dans le monde. La Chine, l’Inde et le Brésil refusant le débat, aucun accord n’a été pris pour l’instant.
FOCUS
R-134a (utilisé principalement dans l’automobile) : 1300
R-404A (utilisé par la grande distribution) : 3260
R-407C (utilisé en froid industriel) : 1530
R-410a (utilisé dans la climatisation) : 1730
Soource: lemoniteur.fr