HFO 1234 : tout n'est pas rose...

Par hydargos

va t'on faire valoir le principe de précaution ?

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Le HFO-1234yf dans l'environnement
par Félix Dalang, Dr chim EPF-Z, 16 novembre 2011


Le HFO-1234yf dans l'environnement
par Félix Dalang, Dr chim EPF-Z, 16 novembre 2011
Introduction
Les fluides utilisées dans les machines à froid ont connu une grande évolution dans le temps.
Initialement on a utilisé l'ammoniaque et le dioxyde de carbone. Ces substances étaient remplacés
rapidement par les Chloro-fluoro-carbones (CFC), d'une utilisation plus facile et apparemment sans
danger. Du fait de leur capacité de détruire l'ozone en stratosphère, ils étaient remplacés par les hydro-
chloro-fluoro-carbones (HCFC), dont l'index de destruction d'ozone (ODI) était moindre. Aujourd'hui
on utilise largement les HFC, substances inoffensives pour l'ozone, mais à potentiel d'effet de serre
(GWP) considérable. La recherche va aujourd'hui dans deux sens:
retour vers les gaz inoffensifs Ammoniaque, Dioxyde de carbone et hydrocarbures
 vers des produits similaires aux HFC, mais sans ODI ni GWP.
Un produit prometteur de cette deuxième volée est l'HFO-1234yf. Son nom chimique (IUPAC) est
2,3,3,3-tetrafluoroprop-1-ene, sa formule est CH2=CFCF3. Cette molécule contient une double liaison
entre deux atomes de carbone. Ces substances sont appelées des oléfines. Le terme HFO est
l'abréviation pour hydrofluorooléfine.
Selon ses fabricants, cette substance serait le remplaçant idéal au HFC134a qui a un GWP estimé à
1300 fois celui du dioxyde de carbone (calculé sur un laps de temps de 100 ans)
i
Les propriétés
chimiques et physicochimiques des deux substances sont très similaires. Le produit est peu toxique. Il
n'a pas d'effet sur l'ozone en stratosphère. Il a une courte durée de vie dans l'atmosphère, alors un petit
GWP.
Pour quelles raisons est-il alors critiqué? L'HFO-1234yf (ci-après HFO) se décompose dans la nature
pour former de l'acide trifluoroacétique (TFA). Le TFA est une substance extrêmement persistante qui
s'accumule dans la nature, sans se décomposer. Elle est soluble à l'eau et migre rapidement depuis
l'atmosphère dans les eaux naturelles. Dans ce milieu, elle est soupçonnée de s'accumuler localement
et d'atteindre de concentrations nuisibles. Les concentrations moyennes estimées à attendre ne
semblent dans un premier temps pas catastrophiques, mais les connaissances actuelles sont
insuffisantes pour l'appréciation. Les effets d'écotoxicité, de mutagénéité, et les effets sur la fertilité
etc sont encore inconnus. Mise à part de quelques questions techniques concernant le HFO, c'est cette
formation de TFA qui présente le problème environnemental majeur de l'utilisation de HFO.

  Propriétés environnementales du HFO
Du fait de sa courte durée de présence dans l'atmosphère le HFO a un faible GWP. Selon une analyse
Life Cycle Climate Performance (LCCP) effectuée par la Society of Automotive Engineers (SAE) le
produit serait significativement mieux que le R134a

.
Le HFO est peu toxique, mais il est inflammable (aux USA faiblement inflammable). Les fumées
d'incendies contiennent cependant de l'acide fluorhydrique, un gaz extrêmement toxique
iii,iv
.
Comme l'HFC-134a est meilleur marché que le HFO et que ces deux produits  ont des propriétés
physico-chimiques très semblables, il y a risque de remplacement frauduleux de ce fluide par l'HFC-
134a lors des travaux de révision. L'utilisation d'HFC-134a est ainsi prolongée à l'infini
v

Le HFO participe fortement à la formation  de l'ozone en troposphère (ozone nuisible qui forme le
smog estival, à ne pas confondre avec l'ozone utile en stratosphère). Selon Luecken et al cet effet peut
être compensé par une légère amélioration de l'efficacité des machines à froid
vi

Ces inconvénients du HFO sont d'ordre technique et ne pèsent à notre avis pas trop lourd. Ils sont
comparables aux inconvénients d'autres solutions techniques.
Le risque écologique majeur du HFO se trouve dans sa propriété de se transformer dans la nature en
acide trifluoroacétique (TFA), un produit extrêmement préoccupant dans l'environnement. Comme ce
produit est rapidement enlevé de l'atmosphère pour se trouver dans l'hydrosphère, ses risques
échappent aux recherches superficielles. 

 L'acide trifluoroacétique (TFA)
La durée de vie du HFO dans l'atmosphère et très courte, seulement environ 11 jours. Le produit
disparaît donc très vite de l'atmosphère et pour cette raison, le GWP calculé sur 100 ans est seulement
de 4
vii
. Le HFO ne disparait cependant pas, mais se transforme en deux étapes pour former presque à
100% de l'acide trifluoroacétique TFA
viii

CF3-CF=CH2   ->  CF3-CF=O   ->  CF3-COOH 
HFO  fluorure de TFA  TFA
Comme toutes les acides fortes, l'acide trifluoroacétique est présente dans la nature sous sa forme
neutralisée ionique, le trifluoroacétate: CF3-COO-
. Cet ion se forme par déprotonation de l'acide
trifluoroacétique.
CF3-COOH -> CF3-COO-
+ H+
 
Le TFA est peu toxique. L'organisme le plus sensible connu à ce jour, l'algue  Selenastrum
capricornutum, montre des altérations à une concentration de 120'000 ng/l. Les concentrations
actuelles dans l'eau naturelle de surface sont presque 1000 fois inférieures. L'augmentation de cette
concentration avec le temps n'est cependant pas connue. Des auteurs soupçonnent l'existence d'une
source préindustrielle de TFA
ix
.
Il est vrai que les autre HFC se transforment également en TFA. Selon Luecken et al cette
transformation se passe cependant seulement pour 20 à 30 %, tandis que le HFO-1234yf se transforme
à 100%
x
.Le TFA n'est pas  biodégradable, sauf éventuellement dans des situations anaérobiques bien
particulières
xi
. De ce fait, tout TFA introduit dans la nature y reste inchangé pendant des siècles et des
siècles. 
Même l'industrie (AFEAS) partage cet avis
xii
. Selon l'AFEAS, tout indique cependant que TFA n'est
pas nuisible dans l'environnement. 
Le TFA est soluble à l'eau. Il ne s'accumule pas dans les tissus gras comme les PCB ou le DDT. On
ignore cependant s'il y a d'autres mécanismes d'accumulation ailleurs dans la nature.
 
  La concentration de TFA dans les eaux naturels
Luecken et al
xiii
 donnent une estimation de la déposition de DFA pendant un été sous l'hypothèse que
tous les climatisation de voitures fonctionnent avec du HFO1234yf. La concentration dans l'eau de
pluie estival serait alors en moyenne de 500 ng/l sur les USA orientale et supérieur à 1000 ng/l au sud
de Los Angeles. Ces concentrations amènent à un dépôt de 160 à 240 g/km2
 pour les USA, avec des
pointes allant jusqu'à 800 g/km2
. Le fait que la substance s'accumule pendant des années dans
l'hydrosphère ne fait malheureusement pas partie de l'étude.  Il est à craindre que les effets nuisibles ne
se manifesteront seulement dans quelques décennies mais de manière irréversible!
Un travail similaire fait l'estimation pour le Japon: estimation des concentrations de HFO, CF3-CF=O 
et TFA dans l'air et dans l'eau de surface, sous l'hypothèse que tous les voitures soient équipées avec
des climatisations à R1234-yf. Les résultats sont similaires: les concentrations maximales varient de
450 à 1'300 ng/l, la moyenne sur la région examinée serait située entre 40 et 80 ng/l. Les auteurs
jugent ces résultats comme acceptables. La concentration maximale dans l'eau serait 80 fois inférieure
au "no observed adverse effect level" (NOAEL) sur des algues
xiv
. Comme il s'agit d'estimations
grossières, ce facteur peut se révéler insuffisant. Souvent on choisit des facteurs entre 100 et 1000.
Un travail très complet établi un bilan des flux de TFA en Suisse et met en évidence un phénomène
d'accumulation du TFA dans le sol
xv
. Les concentrations dans l'eau de pluie varient entre 20 et 400
ng/l. Ce travail est antérieur à la controverse sur le TFA et cite comme source principale le HFC134a.
L'existence de ces concentrations est donc oubliée par les deux travaux cités ci-dessus, qui devraient
être corrigés pour ce montant. 

Un rapport du programme environnemental des Nations Unies craint une assimilation par des racines
des plantes et une accumulation dans les feuilles à cause de la solubilité dans l'eau de cette substance
xvi
, tout en jugeant acceptable le risque environnemental de l'introduction de cette substance.
Il est confirmé que le TFA se trouve actuellement partout dans l'hydrosphère. En l'océan en l'an 2002,
on la trouve en une concentration uniforme d'environ 200ng/l.
xvii
. Dans un travail de 2005, ce constat
et falsifié. Il existe alors de grandes différences de concentrations dans les océans, allant de 0 à 230
ng/l. Ceci indique la présence de sources récentes et inégalement répartis sur le globe
xviii
.
Les concentrations estimées pour l'eau douce sont donc du même ordre de grandeur que la
concentration actuelle dans les océans.
En conclusion: Le TFA se trouve actuellement partout dans l'hydrosphère sauf dans la glace
profonde du Groenland. Sa concentration dans l'eau douce est en moyenne d'environ 150 ng/l
avec des variations locales importantes. Dans les océans, on observe également de grandes différences de concentrations, avec une moyenne de la même ordre de grandeur. Les promoteurs
argumentent que l'augmentation de TFA dans l'eau de pluie sous l'hypothèse de l'utilisation
généralisée de HFO serait négligeable. Elle est tout de même du même ordre de grandeur que la
concentration actuelle en océan profond. L'effet de l'accumulation de cette substance dans l'eau
douce et sur terre ferme n'est pas étudié à présent. 
  Origine du TFA
Luecken estime qu'il soit impossible que la totalité du TFA présent actuellement dans l'hydrosphère
provienne de la décomposition des gaz F produit par l'industrie jusqu'à nos jours
xix
. Les auteurs
soupçonnent alors une présence naturelle de TFA. Leur travail essaye de démontrer que la pollution
atmosphérique en TFA ainsi que la pollution de l'eau de pluie par cette substance soit inoffensive. 
Selon la European Fluorocarbon Technical Comitee (EFCTC)
xx
, le TFA est une substance naturelle
qui s'est accumulée dans les océans pendant de millions d'années. La formation s'est faite
probablement autour des éruptions volcaniques sous-marines
xxi,
. Ce constat est en contradiction avec
le fait que la consetration dans les océans n'est pas uniforme.

La thermodécomposition de fluoropolymères (p.ex l'incinération de téflon dans une usine
d'incinération d'ordures) est identifiée comme une autre source de genèse de TFA. Ceci pourrait aussi
expliquer la grande quantité de TFA présent dans l'hydrosphère
xxii

Dans la glace profonde du Groenland on n'a cependant pas trouvé de traces de TFA. Ceci indique qu'il
n'existe pas de source naturelle de TFA dans l'eau douce ou dans l'atmosphère
xxiii
.
En conclusion:  Aucune source naturelle de TFA dans l'atmosphère et dans l'eau douce a pu être
mise en évidence. Dans l'atmosphère et l'eau douce à leur état naturel le TFA est absente.  Dans
ces milieux, cette substance est anthropogénique. Dans l'océan, l'origine du TFA est  inconnue.
On soupçonne que son apparition est au moins partiellement liée à des éruptions volcaniques
sous-marines. 
Les sources anthropogéniques sont essentiellement dues à la décomposition de produits fluorés,
soit le HFO, mais aussi les HFC et probablement également par la thermodécomposition de
produits fluorés polymères (ex. Teflon dans les incinérateurs d'ordures). 
Actuellement on découvre de plus en plus de mécanismes de formation de TFA à partir de
substances anthropogéniques. Exemple: les fluoroacétates
xxiv

  Le principe de précaution
Il n'existe pas de désaccord scientifique sur la dégradation des gaz F en TFA et sur la persistance de
cette substance dans la nature. Le désaccord est de l'ordre politique: comment évaluer le risque
environnemental de la production de produits précurseurs du TFA?
La mise en évidence du TFA dans l'environnement est relativement récente. Son comportement
chimique dans la nature est très mal connu. Nous ignorons par exemple s'il existe un mécanisme
d'accumulation dans la nature qui pourrait apporter des effets nuisibles. Nous ignorons l'origine de
cette substance dans les océans. Nous ignorons l'évolution de la concentration dans le temps.
À l'époque, l'humanité était dans une situation similaire avec les PCB ou le DDT. Ces  deux
substances, réputées inoffensives, sont également quasi indestructibles dans la nature. Elles ont été produites en masse et relâchés dans la nature, pour causer à la suite des effets écologiques graves, par
le biais de mécanismes insoupçonnés. Aujourd'hui on est en train de commettre la même
irresponsabilité avec les nanoparticules. Est-ce que le TFA sera le candidat suivant dans cette triste
série d'erreurs humaines ?
Le principe de précaution était formulé pour la première fois dans la déclaration de Rio en 1992: 
« En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique
absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures
effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement. » 
Dans la législation française, on la trouve dans une forme un peu relativisée dans la loi Barnier de
1995 :
« L'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du
moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à
prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût
économiquement acceptable » 
Quelle valeur donne-t-on au principe de précaution? Est-ce que le fait qu'une substance non naturelle,
hautement persistante, mais apparemment non toxique s'accumule infiniment dans l'hydrosphère est
suffisant pour l'interdire, sachant que d'autres technologies, non nuisibles, existent ? À ce sujet on
contate un désaccord entre les USA et l'Europe.
La littérature est vaste, mais peu précise à ce sujet. Le principe de précaution est bien ancré dans la
tête des gens, mais n'a pas trouvé une grande reconnaissance légale, ni aux USA ni en Europe
xxv
:
"Very little of this is enshrines in law, though the European Union has  enclosed the principle in a
legally untested (as yet) manner in its Fifth Environmental Action Plan for the period 1992 – 1999. In
United States legislation, the principle is particularly applied to potentially bioaccumulative, persistent
and toxic chemicals. However, a strict legale interpretation could be too prohibitive of technological advance so the courts are loathe to pronounce upon it; nor are the regulatory authorities willing to push
it to its commercial limits (Bodansky);"
Un livre
xxvi
 donne un historique de la notion du principe de précaution et leur implémentation dans
différents pays et différents milieux. 
Voici encore un texte de l'EPA sur le principe de précaution, incluant la définition de la conférence de
Rio 1992:  “[w]here there are threats of serious or irreversible damage, lack of scientific certainty shall
not be used as a reason for postponing cost effective measures to prevent environmental degradation.”
xxvii
.  
  Conclusion
Il n'est pas facile de trouver un avis tranché contre l'utilisation généralisée de HFO-1234yf, car
l'industrie inonde le net avec des infos qui banalisent cette substance et qui dénigrent les réfrigérants
"naturels".
En l'état actuel des connaissances, de nombreux spécialistes jugent irresponsable la production en
masse des prédécesseurs de l'acide trifluoroacétique!
Le principe de précaution interdit la production en masse de HFO-1234yf avant l'achèvement d'un
programme complet de recherche sur l'impact environnemental de ce produit. 
Accumuler un produit de synthèse dans la nature est considéré comme inadmissible! C'est le cas pour
cette substance: elle s'accumule ad inifinitum. Le potentiel écotoxicologique du TFA est encore
largement inconnu et sa formation peut engendrer les graves problèmes environnementaux. Dans le
passé des substances persistantes ont causé plusieurs catastrophes environnementales (DDT, PCB,
CFC, SF6, amiante). Et actuellement on vit des problématiques similaires par exemple avec le PFOS
(perfluorooctane sulfonate), les organismes génétiquement modifiés ou les nanoparticules. Faut-il en
rajouter le TFA?